Solfège et suite mathématique : pourquoi rien ne/tout sonne juste.

Quelles notes sonnent justes à l'oreille ? Pourquoi le solfège est il ainsi construit ? Pourquoi les notes sont elles au nombre de 7 et une octave divisée en 12 tons ? Cette construction repose sur un principe très simple, mais qui donne lieu à des explications alambiquées voire quasi mystiques dans bien des cours de solfège.

La musique fait vibrer... l'air.

Petit détour par la physique avant la musique. Lorsque un instrument produit un son, il fait vibrer l'air de façon sinusoïdale. Quand on dit faire vibrer, il s'agit d'une variation périodique de la pression de l'air. 

Par exemple, un ''La'' donné par un diapason ou votre téléphone, fait vibrer l'air à une fréquence de 440Hz. \begin{equation} A(t,z)=A_m \cos(\omega t-k z) \end{equation} Si on se place à une position fixe, par exemple $z=0$, on a simplement l'amplitude la surpression de l'air :  $$P(t,z)=P_m \cos(\omega t)$$

La fréquence $f$ ($\omega=2\pi f$) indique que l'air oscille à cette position 440 fois par seconde. Cette vibration frappe les tympans et produit le son.

La justesse pour l'oreille humaine

Toute la construction repose sur le principe suivant, lié à l'oreille (le cerveau) humaine :

Pour obtenir une deuxième note qui sonne juste, il suffit de créer un multiple (entier) de la fréquence de base.

Cela fonctionne aussi par division, puisqu'une fréquence est toujours un harmonique d'une autre.

À l'oreille, les harmoniques ressemblent à la fondamentale, c'est pourquoi on considère qu'il s'agit de la même note. Ainsi, la note vibrant à 880 Hz est aussi un La (le La4) et le LA2 est à 220 Hz. Si ce principe a sans doute un fondement culturel, il est aussi partiellement vérifié chez certains animaux (Macaques, dauphins) [1] . Le fait qu'un morceau  est perçu identique en fait : qui sonne juste) à la fondamentale est appelé principe d'équivalence (ou d'identité) de l'octave. C'est ce  principe qui permet de construire une gamme de notes justes..

En physique, la fréquence de base est appelée la fondamentale, et ses multiples sont appelés harmoniques. Les harmoniques  sont associées à des  noms spécifiques en musique :

  1. la seconde harmonique $2f$ est appelée Octave
  2. la troisième harmonique $3f$ est associée à la  Quinte
  3. la cinquième harmonique $5f$ est associée à la Tierce

Remarque :  seule l'octave correspond à une harmonique, la quinte et la tierce correspondent aux harmoniques ($3f$ et $5f$) ramenées dans l'octave par division ($3/2f$ et $5/4f$). Voir paragraphe ci dessous.

L'octave est considérée comme l'intervalle (rapport de fréquence de 2 sons) le plus juste.

Comment construire des notes variées et justes ?

Les octaves se construisent très facilement, puisqu'ils suffit de multiplier ou diviser la fondamentale par $2^n$, avec $n$ entier.

Problèmes : les harmoniques  sont toutes perçues comme la même note,  et donc malgré la différence fréquentielle, ça ne permet pas de créer des morceaux très variés. En outre, lorsqu'on chante, passer de l'octave à la tierce est difficile puisqu'on monte vite dans les aigüs.

 

On va donc encore appliquer le principe donné plus haut, mais cette fois par division, ce qui va ramener les harmoniques dans des fréquences raisonnables, sous l'octave (i.e. entre $f$ et $2f$). La première opération à laquelle on pense, c'est simplement de diviser la 3è harmonique par 2. On obtient la quinte, à  une fréquence de $3/2f=3*440/2=660 Hz$. Cette fréquence correspond au Mi ($f_{MI}\simeq660 Hz$). On obtient ainsi un Mi à partir de la quinte du La.

En appliquant le même processus, la quinte de la quinte donne 3/2*3/2=9/4f=2,25f, ce qui est au dessus de l'octave. On ramène donc dans l'octave en divisant à nouveau par 2, ce qui donne le Ré : $f_{RÉ}=9/8f_{LA}=495 Hz$.

Une suite de son comprise entre la fondamentale et l'harmonique est une gamme. On obtiendra donc différentes gammes selon la construction qu'on a choisie.

Tout le malheur et la difficulté du solfège : $3^m\neq 2^n$

Le procédé ci-dessus montre qu'on construit l'ensemble des notes par un processus assez simple de multiplication par une puissance entière de trois ($3^m\times f, m \in \mathbb{N}$) et de division par une puissance entière de 2 ($1/2^n, n\in \mathbb{N}$ ) pour ramener dans l'octave.

Un nombre paire ne pouvant être égale à un nombre impaire, la suite construite de notes ne pourra jamais boucler sur $1=\frac{3^m}{2^n}$. En démarrant à la fondamentale et en applicant ce processus de construction, on n'arrivera jamais exactement à l'octave qui est pourtant  considérée comme le summum de la justesse (la consonnance).

On pourra s'en approcher, mais la différence de fréquence entre l'octave et la dernière note de la gamme fait que cette note sonnera plus  ou moins faux. On caractérise ceci par le comma, qui est simplement le rapport $3^m/2^n\neq1$.

Et là, un miracle faillit se produire

D'une façon presque miraculeuse, en appliquant 12 fois de suite le principe de la quinte, c'est à dire en multipliant à chaque fois  par $3/2$ et en ramenant dans l'octave (en fait on multipliera parfois par 3/4), on retombe presque sur nos pieds :

440 ➡ 660➡495➡ 371➡ 557➡ 418➡ 626➡ 470➡ 352➡ 529➡ 396➡ 297➡446

Après 12 quintes, on obtient en fait quasiment 7 octave, soit 3^12=2^7, et donc en ramenant dans l'octave, on a bien  m=12 et n=19, et $f_{13}=f\times 3^{12}/2^{19}\simeq 1$. Ce rapport vaut  1,0136. C'est le comma de le comma de la gamme pythagoricienne, qui divise l'octave en 12 notes. Il est si proche de 1 qu'on n'a finalement pas besoin de considérer la 13è note.

C'est pour cette raison qu'il n'y a que 12 notes, 12 frettes sur la guitare, etc.

Pour le La3, on obtient après 12 quintes 446 Hz, qui est donc très proche, mais pas strictement identique. Malgré la proximité de ces chiffres, l'écart entre la 12è note et l'octave est suffisant pour sonner faux.

 

La solution longtemps retenue  a été de "planquer" cet  écart faux entre deux notes peu utilisées.

Le  tempérament égal

C'est la méthode utilisée pour accorder les instruments aujourd'hui. On obtient ainsi la gamme tempérée.
Il s'agit de répartir le désaccord sur toutes les notes. Dans la gamme pythagoricienne, il y a 12 notes (12 demi tons). On peut donc  répartir  le désaccord en multipliant par  $2^(1/12)$. Tous les intervalles sont donc légèrement faux, à part l'octave.
Cet accordage joue donc sur la limite de l'oreille humaine à disinguer de très faibles différences de fréquence, plutôt que de  cacher le loup entre deux notes peu utilisées.

La tierce et le tempérament mésotonique

Les quintes sonnent juste, la tierce majeure (5/4 f) sonne juste, donc on devrait pouvoir les mélanger. Pourtant la 4è quinte vaut 550 Hz et la tierce vaut 557. La 4è quinte donne presque la tierce majeure.

En fait, on ne peut pas mélanger directement  ces constructions : la tierce sonne un peu faux dans le système pythagoricien. Pour introduire des tierces justes dans un système formé grâce aux quintes, il faut légèrement raccourcir les quintes, pour que dans le cycle des quintes (système pythagoricien), on retombe sur les tierces. On multiplie les quintes non pas par 1,5, mais par 1.495 (=5^(1/4))
C'est le tempérament mésotonique : quintes légèrement fausses, tierce majeure parfaite.

Remarque : un accord majeur est composé d'une note, de sa tierce majeure et de sa quinte.

 

Les autres systèmes, la musique microtonale

L'octave est divisée en 12 dans la musique occidentale, mais d'autres systèmes existent : guitare à 19 tons, division par 24 dans la musique arabe, ou en 22 dans la musique indienne. On peut encore augmenter ce nombre. C'est la musique micro tonale.

Références        

[1] Wright, A. A., Rivera, J. J., Hulse, S. H., Shyan, M., & Neiworth, J. J. (2000). Music perception and octave generalization in rhesus monkeys. Journal of Experimental Psychology: General, 129(3), 291.

[2] Xavier Hubeaut, "Pourquoi n'ai je jamais  rien compris au solfège ?", https://xavier.hubaut.info/coursmath/doc/thmus.pdf

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